Les efforts intenses sont-ils dangereux pour les enfants

Les efforts intenses sont-ils dangereux pour les enfants ?


Quels sont les
impacts des fortes sollicitations du métabolisme anaérobie sur la santé des enfants et des
adolescents ? De nouveaux travaux issus de recherches en physiologie de
l’enfant et de l’adolescent apportent aujourd’hui de nouveaux éléments.
FICHIER INEXISTANT : 3
Par Claire
Thomas-Junius, Maitre de Conférences-HDR, Université Evry Val d’Essonne, UFR
SFA, Département STAPS, Evry
INSEP, Mission Recherche, Laboratoire de
Biomécanique et Physiologie, Paris
En 1976, lors des Jeux Olympiques de Montréal, une nouvelle image de l’enfant sportif apparaissait au travers des exploits extraordinaires d’une gymnaste, Nadia Comanecci qui  réalisa des performances exceptionnelles alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans. Dans un précédent numéro, nous avions cité les travaux de C. Colombo, L Guelzec, et C. Hanon de l’INSEP en gymnastique -sol, cheval d’arçons- barre fixe-, qui montraient que la réalisation de ces différents agrès pouvait conduire chez des jeunes athlètes de haut niveau à une très forte sollicitation du métabolisme anaérobie. Quels sont les impacts de ce type de sollicitations sur la santé des enfants et des adolescents ? De nouveaux travaux issus de recherches en physiologie de l’enfant et de l’adolescent apportent aujourd’hui de nouveaux éléments.
Les références
d’hier !
Sébastien Ratel (Université de
Clermont-Ferrand), expert national et international en physiologie de l’enfant
et de l’adolescent, souligne que les efforts anaérobies lactiques chez les
enfants et les jeunes adolescents sont
encore perçus la plupart du temps comme des efforts dangereux
 pour leur
santé et inutiles en termes de développement de leur capacité anaérobie (2012).
Pour exemple, Jean-Michel Le Chevalier en 1999 indiquait que « la capacité
anaérobie n’augmente sensiblement qu’avec l’avènement de la puberté et qu’il
est donc inutile de programmer des activités qui sollicitent électivement le
processus anaérobie lactique chez les enfants
pré pubères. De plus, dans son ouvrage très répandu de « Biologie du
Sport » (p 335-336), Jürgen Weineck (1992) précisait que ce type d’effort
risque de provoquer des fatigues excessives et des réactions de stress
préjudiciables chez les enfants. Cette idée est encore récemment reprise par
Véronique Bricout (2009), qui préconise de proscrire le travail anaérobie
auprès d’enseignants du primaire et du secondaire  pour les cours d’EPS. De plus, J Weineck
précisait également que «l’élimination du lactate et, par conséquent, la
capacité de récupération sont plus faibles chez l’enfant que chez l’adulte » et que «les efforts anaérobies provoquent chez
l’enfant une élévation 10 fois plus grande des catécholamines (adrénaline et
noradrénaline : hormones du stress et de la performance) que chez
l’adulte. Selon J Weineck, un taux élevé de catécholamines  est considéré comme anti-physiologique et
serait donc néfaste pour les enfants».
Ce que
l’on sait aujourd’hui
Nous
attarderons ici sur les efforts intenses et répétés, avec des intensités
supramaximales (> VO2max), qui sont fréquemment rencontrés dans
les sports collectifs et qui sont surtout spontanément réalisés par les
enfants.
Récupération et perception de l’effort  
Seulement
30 s de récupération entre chaque sprint suffisent aux enfants (8-12 ans) pour
maintenir leur puissance maximale constante sur 10 sprints de 10 sec, alors
qu’un minimum de 5 min de récupération sera nécessaire entre les sprints pour
les adultes (> 18 ans) pour lutter contre la baisse de puissance (Ratel et
coll. 2002), ce délai étant raccourci chez les adolescents (12-18 ans) par
rapport aux adultes. Ces résultats, également observés en course (Ratel et
coll. 2006) montrent que sur des exercices
intenses, les enfants et les adolescents sont moins sensibles à la fatigue que
les adultes
. Dans ce sens, l’effort est également perçu
comme plus facile par les enfants et les adolescents que par les adultes (Ratel
et coll. 2004).  Les exercices intenses et répétés n’entrainent
donc pas une fatigue précoce et excessive chez les enfants puisque ces derniers
présentent de meilleures facultés de récupération que les adultes. On peut
toutefois s’interroger si ce type d’exercice entraine un stress important pour
ce public. 
Résistance au stress    
Deux
anciennes études ont montré que l’accumulation des hormones du stress n’est pas plus
élevée chez les enfants. Au contraire le taux de ces hormones circulant pendant
un exercice maximal est égal (Rowland et coll. 1996) voire inférieur (Lehmann
et coll. 1981) chez les enfants par rapport aux adultes. Ratel et Martin (2012)
précisent que les conclusions un peu trop hâtives de J Weineck proviennent des
résultats de l’étude de Lehmann et coll. (1981) qui montrent des concentrations
plasmatiques des catécholamines (hormone du stress) plus élevées chez les
enfants mais pour des intensités de travail sous maximales relatives (en
pourcentage des possibilités maximales) plus importantes. De plus, ils ajoutent
qu’à des charges de travail absolues identiques, il est bien évident que le
stress physiologique chez l’enfant soit plus élevé en raison de leurs plus
faibles possibilités maximales et que la comparaison avec les adultes doit se
faire à des intensités de travail relatives similaires. Par conséquent, les influences du système nerveux
sympathique au cours de l’exercice maximal sont indépendantes de la maturation
biologique
.
Maturité du système anaérobie
Par ailleurs, il est communément admis que le système
anaérobie est immature chez les enfants et qu’il n’augmente qu’avec la survenue
de la puberté. Ratel et Martin (2012) ont récemment apporté des
contre-arguments scientifiques à ces idées reçues, en stipulant que certes, (1)
la concentration en glycogène musculaire au repos est plus faible chez l’enfant
que chez l’adulte (Eriksson and Saltin, 1974), mais qu’elle n’est cependant pas
un facteur limitant de l’activité du métabolisme anaérobie lactique. (2) Il a
été mesuré une  plus faible activité des
enzymes de la glycolyse (métabolisme anaérobie lactique) chez l’enfant, mais
ces résultats ont été controversés voire sans aucune comparaison directe entre
Enfant vs Adulte. Enfin, (3) la concentration maximale de lactate sanguin est
plus faible chez l’enfant à l’issue d’un exercice maximal, mais on peut noter
que la concentration de lactate n’est que la résultante d’un équilibre entre
production et élimination. Elle ne représente donc pas uniquement l’activité du
métabolisme lactique. Ericksson et coll. (1971) avaient également observé une corrélation
positive entre le lactate musculaire et le volume testiculaire, mais Ratel et
Martin (2012) s’interrogent sur cette relation de cause à effet. En effet, une
concentration de lactate ne représente pas uniquement l’activité du métabolisme
anaérobie lactique, et le volume testiculaire étant aussi critiquable pour
estimer le niveau de maturation. Ces
arguments remettent donc en question l’immaturité du système anaérobie pendant
l’enfance.
Contribution des différentes voies métaboliques
Récemment, l’avancée des progrès technologiques a
permis d’apporter un nouveau regard sur la contribution des différentes voies
métaboliques dans la resynthèse de l’énergie au cours de l’exercice en fonction
du développement de l’enfant (Tonson et coll. 2011). En effet, par une
technique d’investigation strictement non invasive (spectrométrie de résonnance
magnétique nucléaire du phosphore 31), Tonson, Ratel et coll. (2011), ont
montré que le système anaérobie est
mature dès l’enfance
. Comme le montre la Figure 1, aucune différence entre
enfant et adulte n’est observée pour la synthèse d’ATP par la glycolyse
(système anaérobie lactique). En revanche, cette étude montre que les enfants
sollicitent moins la phosphocréatine musculaire et plus le métabolisme aérobie
que les adultes pour répondre à la demande énergétique pour une intensité
d’exercice donnée.
Conclusion
Comme le souligne Ratel et Martin (2012), contrairement aux idées reçues,
il n’est donc pas inutile ni dangereux, sur le plan physiologique, de
solliciter la filière anaérobie lactique chez les enfants et de leurs proposer
des efforts intenses et répétés. «Aucun
argument scientifique ne confirme l’idée bien souvent avancée que l’exercice
anaérobie est dangereux pour la santé des enfants » (Bar-Or 1995). Concrètement, il est possible de proposer des efforts
d’intensité maximale de 10secondes à une minute, avec des temps de récupération
inférieurs à ce que l’on proposerait aux adultes. 
Pour autant, on
n’oubliera pas que la construction d’une carrière sportive doit s’envisager sur
le long terme et que les entraîneurs doivent aussi ménager l’enfant sur le plan
psychologique. La progression est un élément de motivation qui favorise le
maintien de l’engagement des jeunes dans la durée. Une progression rapide et
précoce est certes possible, mais ne risque elle pas d’hypothéquer les
conditions d’une progression régulière sur plusieurs années ?


Références     
·        Bar-Or O. J Sports Sci, 13: S31-S33, 1995
·        Bricout VA. Revue EPS, n° 337, 2009
·        Eriksson et coll. Acta Physiol. Scand. 87, 485-497, 1971
·        Eriksson and Saltin. Acta Paediat Belgica, 28: 257-65,
1974
·        Le Chevallier JM. Revue AEFA, Hors série, 1999
·        Lehmann et coll., Eur. J. Appl. Physiol, 47:301-311,
1981
·        Ratel et al., Int. J. Sports Med., 23: 397-402, 2002
·        Ratel et coll., Eur. J. Appl. Physiol., 92: 204-210,
2004
·        Ratel et coll., Int. J. Sports Med., 27: 1-8, 2006
·        Ratel Se et Martin V, Sci et Sports, 27:195-200, 2012
·        Rowland et coll., Int. J. Sports Med., 17:22-26, 1996
·        Tonson et coll. J. Appl. Physiol, 109:1769-1778, 2010
·        Weineck J. Biologie du Sport, Editions Vigot, p.
335-336, 1992